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Chapitre 4b

GÉRARD WEISBUCH
Laboratoire de Physique Statistique1
de l'Ecole Normale Supérieure,
24 rue Lhomond, F 75231 Paris Cedex 5, France.

email:weisbuch@physique.ens.fr

Problématique

Les problèmes qui vont essentiellement nous intéresser dans ce chapitre concernent les ``organisations'' au sens le plus large, qui apparaissent sur un marché. En l'absence d'organisation, on s'attend soit à ce que tous les comportements imaginables soient observables chez les agents (hypothèse minimale), soit à n'observer que des comportements optimaux. On s'attend de même à ce que soit les meilleurs produits l'emportent, soit, si leurs qualités sont équivalentes, on imagine que n'importe quelle répartition des parts de marché est a priori possible. Nous discuterons plus loin d'autres exemples, mais face aux hypothèses les plus simples comme l'uniformité des solutions et des comportements ou on contraire la sélection de la solution optimale, on observe souvent frappé dans la réalité des marchés par la richesse des structures observables en terme de répartition des parts de marchés, de comportement des agents, des liens préférentiels pouvant s'établir entre eux, du rôle des intermédiaires etc. Au sens le plus large, ces structures s'interprètent comme des institutions: croyances, routines, normes, réseaux etc.

Le premier type de questions sur ces institutions concerne leur fonction économique: à quoi servent ces institutions? La réponse de D. North (1990) relie ces institutions aux incertitudes auxquelles doivent faire face les agents économiques. Dans un situation dans laquelle les conséquences d'un choix éventuel sont mal connues, il peut être plus rationnel d'utiliser des routines de comportement éprouvées que de rechercher à chaque étape une solution optimale; on passe ainsi d'une rationalité complète au niveau des actions à une rationalité procédurale au niveau des comportements. Les institutions sont le résultat de ces comportement stéréotypés. Dans la même optique, on peut essayer d'évaluer un bilan profits/pertes lié à l'adoption de tel ou tel comportement: les institutions adoptées optimiseraient ce bilan.

En fait, sans négliger l'intérêt de l'approche bilan, on peut aussi se poser le problème de l'origine des institutions. Dans cette optique, l'approche bilan ne donnerait qu'une perspective finaliste à un problème de dynamique. Plus simplement, on peut se demander si les institutions du marché sont le resultat d'une sélection (tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes), ou d'une histoire. Dans la même optique, une institution particulière observée sur un marché donné est elle la mieux adaptée, ou bien ne constitue-t-elle qu'une solution possible parmi un ensemble (approche Arthur (1994)?

L'idée d'une dynamique à plusieurs attracteurs expliquant ainsi l'apparition des structures différentes dans des situations apparement équivalentes n'est pas toute réçente et elle a été appliquée en économie par des auteurs tel que Arthur (sélection des standards), Zeeman (1976) (comportement des marchés à partir de la théorie des catastrophes), Guesnerie (le phénomène des ``tâches solaires'' et la prophétie auto-réalistrice). L'urne de Polya, un système modèle des comportements d'imitation, dans lequel à chaque tirage l'utilisateur remet dans l'urne deux boules correspondant à la couleur précédement tirée illustre bien la multiplicité des attracteurs et l'importance des conditions initiales.

Figure: $\textstyle \parbox{12 cm}{Boucle type de circulation
et de traitement de l'inf...
...t sur le march\'{e}
en cr\'{e}ant de nouveaux \'{e}l\'{e}ments d'information }$
\begin{figure}
\centerline {
\epsfxsize=100mm\epsfbox{boucle.ps}
}\end{figure}


Principes canoniques

L'idée de base est que dans des conditions d'information imparfaite les décisions des agents et leurs conséquences donnent lieu à une dynamique d'apprentissage qui vient se coupler à la dynamique des variables économiques. Le schéma général de ces couplages apparaît sur la figure 3, qui représente une boucle type de circulation et traitement de l'information. L'information incomplète sur le marché dont dispose un agent est codée par celui-ci (certains diraient même qu'au départ l'agent ne dispose que de données brutes à partir desquelles le codage crée l'information). C'est le codage, lié par son aspect dynamique à l'apprentissage, qui permet à l'agent de filtrer et d'organiser les données dont il dispose pour en retirer une "représentation du monde" utilisable dans l'action. L'agent prend des décisions en fonction de l'état du marché et de sa représentation du monde, mais ces décisions influent elles-même sur l'état du marché. La boucle se referme lorsque l'agent ré-actualise sa représentation du monde à partir des nouvelles données qu'il reçoit à chaque instant. Notons aussi la convergence des actions des agents sur l'évolution du marché, et le caractère forçément partiel de l'échantillonage auquel se livre chaque agent pour obtenir de nouvelles données.

Dans les cas où la structure de l'information sur un marché suit une dynamique dont la structure statique est celle décrite ci-dessus, c'est à dire un ensemble de boucles imbriquées, nous pouvons nous attendre à observer les comportements dynamiques typiques des systèmes complexes:

Attracteurs mutiples, chaos, structures "spatiales" au sens le plus large, cad non seulement dans l'espace 2 ou 3d, mais dans des espaces de produits, de prix, de conventions...

Dans un contexte économie et institutions, la dynamique d'évolution vers l'un des attracteurs possibles s'interprète comme un processus d'organisation: la dynamique "sélectionne" les configurations attractrices parmi la multitude initiale des possibles. Le processus d'organisation peut aboutir à:

En pratique, un même problème est étudié en utilisant plusieurs approches concomittantes:

Nous exposerons dans ce chapitre deux modèles simples et une méthode formelle de résolution, celle du champ moyen, sans décrire l'ensemble des simulations permettant de vérifier la généricité des résultats établis par l'approche formelle.

Résultats

Nous allons détailler ici les résultats généralisables obtenus sur le problème de l'acheteur et du choix des produits en appliquant un formalisme inspiré de la mécanique statistique et en particulier du ``champ moyen''. Nous considérons le problème d'un acheteur qui doit choisir un produit (ou un vendeur) parmi d'autres. L'approche que nous allons décrire est d'ailleurs applicable au problème plus général d'un acteur devant choisir une technologie, une règle de comportement, une option politique etc. Limitons nous dans cet exposé à deux exemples extrêmes dans la gamme des informations disponibles pour l'acheteur.

Suposons que les agents ont une stratégie probabiliste (que nous justifierons dans la suite de l'exposé). Leur problème est alors de passer de l'ensemble ${\bf I}(t)$ des informations dont ils disposent au temp $t$ à une probabilité d'achat $P(t)$ dans le simplex $\Delta_m$, où $m$ est le nombre des choix offerts.

\begin{displaymath}
P(t):{\bf I}(t) \longrightarrow \Delta_m
\end{displaymath} (1)

Suivant l'approche décrite plus haut, nous décomposons l'application $P(t)$ en deux, une application de l'espace des informations ${\bf I}(t)$ vers un espace de préferences ${\bf U}(t)$ et une seconde application de ${\bf U}(t)$ vers le simplex $\Delta_m$. La première application est le codage de l'information, basé sur une dynamique d'apprentissage, et la seconde le processus de choix probabiliste.

Codage de l'information publique

Dans le cas de l'information publique, on suppose en général que l' établissement des préférences est basé sur un comportement d'imitation. A chaque pas de temps, la préférence $U_{l}$ d'un agent de référence $i$ (les indices $i$ sont sous-entendus par la suite) pour le choix $l$ s'écrit:

\begin{displaymath}
U_{l}(t) = u_{l} + J n_{l}(t-1) ,
\end{displaymath} (2)

où le premier terme correspond à une préférence intrinsèque $u_{l}$, indépendante du choix des autres agents (on pourrait penser à l'opposé d'un prix par exemple), donc indépendant de $t$, et le second terme est le terme d'imitation proportionnel au nombre $n_{l}(t-1)$ des agents susceptibles d'influencer l'agent $i$ ayant fait le choix $l$ au temps $t-1$. La constante d'interaction $J$ représente l'intensité du terme d'imitation par rapport à la préférence intrinsèque $u_{l}$.

Codage de l'information privée

Dans le cas de l'information privée, nous supposons en suivant Weisbuch etal. (2000) que les préférences sont basées sur les expériences antérieures de l'agent. Le modèle discuté ici s'applique lorsque les qualités des produits achetés fluctuent au cours du temps pour des raisons tenant aussi bien aux qualités intrinsèques du produit qu'à l'usage qui en est fait. On peut penser par exemple à un produit alimentaire fruit ou légume, dont les variations d'utilité peuvent être dues à son origine, aux traitements qu'il a subi, au prix variable qu'en demande le vendeur, à sa préparation par l'acheteur etc...Le modèle s'applique en fait aux choix des vendeurs parmi ceux vendant un même type de produit, par exemple sur un marché de denrées alimentaires, ou au choix d'une marque dont les produits sont susceptibles d'évolution au cours du temps. L'information sur l'utilité du produit pour l'agent est donc codée suivant un processus d'apprentissage dans lequel l'agent "intègre" à chaque pas de temps $t$ les "utilités" $v_l$ de ses choix antérieurs:
\begin{displaymath}
U_{l}(t) = (1-\gamma) \cdot U_{l}(t-1) + \; v_{l} (t) ,
\end{displaymath} (3)

Cette expression correspond au calcul d'une moyenne flottante: le premier terme décroit régulièrement l'influence des informations passées, et le second prend en compte le profit réalisé si l'agent a fait le choix $l$ au temps $t$ (ce terme est nul si l'agent fait un choix autre que $l$). Ce processus de moyenne flottante se justifie par la nécessité pour l'acheteur de prendre une moyenne pour amortir les fluctuations temporelles tout en diminuant l'importance des informations trop antérieures devenues non pertinentes.

Fonction de choix et le compromis exploration/exploitation

Nous supposons maintenant dans les deux cas de figure, information publique et information privée, que les agents choisissent chaque possibilité $l$ de préférence $U_l$ suivant une loi de probabilité:

\begin{displaymath}
P_{l}(t) = \frac{\exp (\beta U_{l}(t))}{\sum_{l}{\exp (\beta U_{l}(t))}} ,
\end{displaymath} (4)

$\beta$, le taux de discrimination mesure la non-linéarité de la relation entre la probabilité et la préférence. $\beta$ tendant vers l'infini correspond au choix déterministe de la préférence la plus forte, $\beta$ tendant vers 0 à l'indifférence.

En effet, un agent qui choisirait toujours le même produit après avoir essayé initialement tous les produits offerts perdrait l'occasion de bénéficier d'avantages apportés ultérieuriement aux autres produits: De plus, une fois ``accroché'', il serait à la merci du vendeur qui pourrait alors lui en offrir moins pour son argent. Sur un marché changeant, un acheteur a intérêt à alterner sur le long terme entre les phases où il achète le produit le meilleur suivant son évaluation et celles où il teste le marché pour découvrir les meilleurs produits. C'est le ``compromis exploration/exploitation'' proposé par ??

Nous pouvons justifier l'emploi de la règle exponentielle 6, dite aussi fonction logit, à partir de cette observation. Sur le long terme, un acheteur se propose en somme de maximiser une fonction $F$, somme pondérée de deux termes, dont l'un est le profit à court terme:

\begin{displaymath}
G = \sum_l P_{l} U_{l}.
\end{displaymath}

L'autre terme prend en compte l'information engendrée par les visites à l'ensemble des acheteurs, représentée par l'entropie de Shannon:

\begin{displaymath}
S = - \sum_l P_{l} log P_{l} ,
\end{displaymath}

La fonction à maximiser $F$ est ainsi la combinaison linéaire des deux termes précédents:
\begin{displaymath}
F = \beta G + S.
\end{displaymath} (5)

On obtient la règle exponentielle en annulant les dérivées de $F_{i}$ par rapport aux $P_{l}$ sous la contrainte que la somme des probabilités soit égale à 1. Bien entendu, ce raisonnement ne permet pas de fixer $\beta$, qui peut être considéré comme une caractéristique spécifique de l'acheteur, ou bien comme lié à la variabilité du marché.

Le fait que la fonction logit optimise la fonction $F$ ne constitue pas une démonstration qu'elle est utilisée par les agents économiques: mais de toutes façons, les résultats qualitatifs exposés plus loin s'obtiennent aussi avec une large classe de fonctions de choix dont celles du type:

\begin{displaymath}
P_{l}(t) = \frac{ U_{l}(t)^\alpha}{\sum_{l}{\ U_{l}(t)^\alpha}} ,
\end{displaymath} (6)

lorsque $\alpha > 1$ .

La solution en champ moyen pour l'information publique

Les équations d'apprentissage 2 et de choix 6 s'appliquent à un large ensemble de modèles qui peuvent différer par le comportement des vendeurs par exemple. Pour pouvoir exposer ici une solution formelle nous introduirons en plus certaines simplifications. Nous prenons tout d'abord le cas le plus simple de deux vendeurs ``inertes'' dont les produits offrent une utilité intrinsèque constante $u_{1}$ ou $u_{2}$.

Ce cas simple est soluble dans l'approximation du champ moyen consiste à remplacer les préférences dans l'équation 2 par leur moyenne evaluée à partir des probabilités exponentielles de l'équation 6. Ce faisant nous négligeons les éventuelles corrélations entre les fluctuations par rapport à la valeur moyenne. (En fait, si les acheteurs se basent sur les choix précédents de l'ensemble des acteurs la méthode est rigoureuse; c'est une approximation dans le cas où les interactions sont locales.) Le système stochastique donné par les équations 2 et 6 devient alors un système déterministe d'équations aux différences finies:

\begin{displaymath}
n_{1}(t) = \; z \;\frac{exp \beta (u_{1} + J n_{1}(t-1))}{e...
...(u_{1}
+ J n_{1}(t-1)) + exp \beta(u_{1} + J n_{2}(t-1)) } ,
\end{displaymath} (7)


\begin{displaymath}
n_{2}(t) = \; z \;\frac{exp \beta (u_{2} + J n_{2}(t-1))}{e...
...a(u_{1}
+ J n_{1}(t-1)) + exp \beta(u_{1} + J n_{2}(t-1)) } ,
\end{displaymath} (8)

$z$ est le nombre d'agents influençant directement un agent donné. Les solutions invariantes $n^*_l$ et $n^*_2$ de ce système obeissent aux équations:
\begin{displaymath}
n^*_1 \; = \; z \;\frac{exp \beta (u_{1} + J n^*_{1})}{exp \beta(u_{1}
+ J n^*_{1}) + exp \beta(u_{1} + J n^*_{2}) } ,
\end{displaymath} (9)


\begin{displaymath}
n^*_2 \; = \; z \;\frac{exp \beta (u_{2} + J n^*_{2})}{exp \beta(u_{1}
+ J n^*_{1}) + exp \beta(u_{1} + J n^*_{2}) } .
\end{displaymath} (10)

$z$ est le nombre d'agents influençant directement un agent donné. La différence entre les deux équations donne une équation implicite en $n^*_1 - n^*_2$:
\begin{displaymath}
n^*_1 - n^*_2 \; = \; z \; Th [ \beta \; \frac{u_{1} - u_{2} +
J (n^*_1 - n^*_2)}{2}] ,
\end{displaymath} (11)

Figure: $\textstyle \parbox{12 cm}{Solution graphique des \'{e}quations de champ moyen.
...
...ne de la droite,
on observe une ou trois intersections entre les deux courbes.}$
\begin{figure}
\centerline {
\epsffile{tanh.eps}
}\end{figure}

L'interprétation graphique de ces deux equations nous éclaire immédiatement sur la nature des solutions: nous recherchons les intersections d'une droite (le membre de gauche) avec le graphe d'une fonction tangente hyperbolique (le membre de droite), c'est à dire d'une courbe en S. Suivant leurs pentes respectives les deux courbes ont une ou trois intersections. Dans le cas des trois intersections, seule les deux extrêmes sont attractrices2.

Abordons maintenant l'interprétation de ces solutions en termes de parts de marché.

La transition de phase

Suivant les valeurs de $\beta$, le taux de discrimination, on observe deux régimes dynamiques, séparés par une transition abrupte.

La transition entre les deux régimes se produit à $\beta=\beta_c$ lorsque la pente de la droite est la même que celle de la tangente hyperbolique à l'origine. Dans le cas symétrique:
\begin{displaymath}
\beta_c = \frac{2}{zJ} .
\end{displaymath} (12)

On peut aussi montrer que si au lieu d'un choix binaire, l'acheteur est confronté à $m$ produits, le coefficient critique est multiplié par $m/2$.

En développant la tangente hyperbolique au voisinage de l'origine, on voit que la transition est abrupte: l'écart $\Delta$ entre les préferences varie comme la puissance 1/2 de l'écart à la transition:

\begin{displaymath}
\Delta = \sqrt { \frac{ 12 ( \beta - \beta_c)}{\beta^3}}
\end{displaymath} (13)

Cette variation au voisinnage de la transition est représenté sur la figure 3.

Figure: $\textstyle \parbox{12 cm}{La transition ordre/d\'{e}sordre en $\beta$.
Variatio...
...{a} $\beta_c$,
l'une d\'{e}crivant la branche haute, l'autre la branche basse.}$
\begin{figure}
\centerline {
\epsfxsize=100mm\epsfbox{jgam.2}
}\end{figure}

Le cas asymétrique et l'hystérésis

Au dessus de la transition, pour $\beta>\beta_c$, l'existence des deux solutions stables asymétriques subsiste aussi longtemps que la difference des utilités intrinsèques reste inférieure à un certain seuil. Si $r$ la difference relative est définie par:
\begin{displaymath}
r= (u_1-u_2) / (u_1+u_2)
\end{displaymath} (14)

les trois solutions subsistent pour:
\begin{displaymath}
(\frac{3r}{2})^2 < (1- \frac{\beta_c}{\beta})^3
\end{displaymath} (15)

Cette relation est obtenue en développant la tangente hyperbolique au voisinage de $r=0$ et du point critique $\beta=\beta_c$. La figure 5 représente les solutions du vecteur de préférences $U$ lorsque varie la différence des utilités intrinsèques dans le cas de l'information publique.

Figure: $\textstyle \parbox{12 cm}{ Hyst\'{e}resis des coefficients de pr\'{e}f\'{e}renc...
...ins\\lq {e}ques
pour lesquelles la pente des pr\'{e}f\'{e}rences est verticale. }$
\begin{figure}
\centerline {
\epsfxsize=100mm\epsfbox{jp1}
}\end{figure}

Etudions maintenant les évolutions possibles des préférences. Supposons que nous partions du cas pour lequel l'utilité intrinsèque $u_1$ est largement supérieur à $u_2$ (la région à droite de la figure 5). Les acheteurs préfèrent alors le produit 1 ($U_1 > U_2$). Si les qualités du produit 2 évoluent favorablement, par exemple grace aux efforts du producteur ou du vendeur), on peut atteindre la région de co-existence des deux produits où les deux attracteurs coexistent. Les acheteurs restent cependant fidèles au produit 1, et ne passent au produit 2 que lorsque la branche haute de la courbe de $U_1$ disparait, c'est à dire au point où la tangente à la branche haute de $U_1$ est verticale. Si nous supposons maintenant une évolution en sens inverse, c'est à dire la croissance relative de $u_2$ par rapport à $u_1$, c'est la branche inférieure du graphe de $U_1$ qui est alors décrite jusqu'au point de tangence verticale sur cette branche. Le point important est que les points de tangence verticale sur chacune des courbes de préférence sont situées de part et d'autre de l'égalité des utilités intrinsèques: dans toute la région intermédiaire, le choix des acheteurs est dicté par leurs choix antérieurs et non par la recherche du meilleur profit.

La solution en champ moyen pour l'information privée

Le formalisme du champ moyen s'applique aussi au cas de l'information privée et des équations 3. Dans le cas de deux vendeurs ou de deux marques offrant des produits d'utilités constantes $v_1$ et $v_2$, la recherche des attracteurs de la dynamique fait intervenir des équations équivalents à quelques changements près de paramètres ($v_l$ au lieu de $u_l$) et de variables (les utilités $U_l$ au lieu du nombre $n_l$ des acheteurs ayant choisi l'un des produits). L'équation des points fixes devient:


\begin{displaymath}
\gamma (U^*_1 - U^*_2) - \frac{u_1-u_2}{2}
= \frac{u_1+u_2}{2} \; Th [\frac{\beta (U^*_1 - U^*_2)}{2}]
\end{displaymath} (16)

On observe ainsi deux régimes séparés par une transition de phase abrupte à $\beta_c$ tel que:
\begin{displaymath}
\beta_c = \frac{2 \gamma }{\pi}
\end{displaymath} (17)

Toutes les propriétés démontrées dans le cas de l'information publique s'appliquent, caractère abrupte de la transition (équation 13), déplacement de la transition par un facteur $m/2$ en fonction du nombre $m$ des vendeurs, et bien sur hysteresis du choix des acheteurs lors des variations des utilités intrinsèques des produits achetés chez les différents vendeurs.

Uniformité et diversité

Le type d'organisation observée diffère cependant entre le cas de l'information publique et celui de l'information privéee. Dans le cas de l'information publique, l'un des produits l'emporte sur l'autre en termes de part de marché. C'est le schéma décrit par Arthur, Orlean, Durlauf... Le processus d'imitation entraine l'uniformité des choix et le marché tout entier est organisé ainsi.

Au contraire, dans le cas de l'information privée, les acheteurs sont indépendants les uns des autres et le processus de mémorisation concerne chacun d'entre eux individuellement: certains acheteurs préfèrent systématiquement un produit, d'autres acheteurs l'autre. Mais le processus d'organisation ne concerne que le comportement des individus et ne conduit pas à l'élimination d'un produit par l'autre.

L'hétérogénéité des caractéristiques des acheteurs conduit elle aussi à des différences suivant le caractère de l'information. En effet, les acheteurs d'un marché présentent des caractéristiques différentes, et on peut supposer dans le cas général une distribution telle que certains acheteurs aient des de caractéristiques les plaçant dans le régime organisé alors que d'autres seraient dans le régime désordonné.

Le problème spatialisé pour l'imitation

Dans le cas de l'information publique, l'approximation du champs moyen s'applique bien lorsque chaque tous les acheteurs connaissent les choix de tous les autres acteurs, ou au moins les parts de marchés. On peut essayer de s'affranchir de cette hypothèse d'information globale en considérant des modèles de type réseau social, dans lesquels les agents ne connaissent qu'un petit nombre d'autres agents et basent leur choix sur ceux des agents avec lesquels ils sont connectés. Ces modèles sont souvent représentés par des réseaux carrés, mais le concept s'applique d'une manière plus générale aux réseaux aléatoires. Dans le cas des réseaux dilués (c'est à dire lorsque le nombre de connexions par agent est petit par rapport au nombre des agents), la phase ordonnée peut n'être pas homogène: le réseau des agents se structure en domaines réguliers de choix uniforme séparés par des parois. Il peut donc y avoir une homogénéité locale, et hétérogénéité globale.

Le même type de formalisme s'applique du point de vue des vendeurs qui souhaitent conquérir un marché. Partant de conditions initiales avec mélange des choix, la dynamique fait apparait dans le réseau des acheteurs, des patterns spatio-temporels dont la nature est liée aux différences des préférences intrinsèque.

La figure 5 montre les domaines stables (ou plus précisément méta-stables), atteints à partir d'une distribution initiale aléatoire hors d'équilibre dans la mesure où la majeure partie des acheteurs a choisi le produit de plus petite préférence intrinsèque. On remarquera la forme régulière en rectangle des domaines de choix uniforme.

Figure: $\textstyle \parbox{12 cm}{Evolution des parts de
march{\'{e}}s dans le cas d'u...
...les acheteurs du produit 2 sont
group{\'{e}}s en domaines rectangulaires gris.}$
\begin{figure}
\centerline {
\epsfxsize=100mm\epsfbox{tutu.ps}
}\end{figure}

conclusions

La discussion ci-dessus illustre bien le type de structure résultant des interactions entre les processus d'apprentissage des agents et les processus économiques:

Thèses et Conjectures

L'interprétation des structures observées en terme d'attracteurs conduit à d'importantes conséquences: Nous n'avons explicité dans ce chapitre qu'une seule méthode que nous n'avons appliquée qu'à deux cas de figures très stylisés concernant le comportement des acheteurs. La problématique est aussi applicable aux comportements des vendeurs et à l'émergence possible des diverses fonctions d'intermédiaires (grossistes, banques, commissaires priseurs, market makers...). Une importante littérature s'est développée à propos du comportement des agents boursiers à partir d'abord de simulations multi-agents (Arthur et al. 1997) puis autour d'un modèle stylisé dans lequel les agents chercher à réaliser l'inverse d'un comportement moutonnier, dans l'idée qu'il vaut mieux précéder que suivre. Cette littérature est connue sous les noms d'El Farrol bar problem et jeu de la minorité (Challet and Y.-C. Zhang 1998). Le problème stylisé est soluble par une méthode formelle dite des répliques: bien que les séries temporelles apparaissent chaotiques, des structures organisées peuvent apparaître dans l'espace des stratégies des acteurs. Un autre exemple d'organisation, sur le marché du fermage, est donné par la distribution discrète des termes de contrat de fermage (P. Young). Bien entendu, on aimerait pouvoir aussi aborder le rôle des institutions plus complexes comme les bourses, voir même la possibilité que des structures politico-sociales soient engendrées (avec boucles de rétro-action) par le marché: on peut penser en particulier à la tribu en relation avec les marchés des produits agricoles (Kohler 1993) et à l'apparition des banques et du pouvoir des Medicis à Florence à la fin du moyen âge en relation avec le commerce international (Padgett 1993).


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Chapitre 4b

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Copyright © 1997, 1998, 1999, Ross Moore, Mathematics Department, Macquarie University, Sydney.

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Footnotes

... Statistique1
Laboratoire associé au CNRS (URA 1306), à l'ENS et aux Universités Paris 6 et Paris 7
... attractrices2
un diagramme analogue à la figure 2 permet d'itérer l'équation aux différences finies en $n_1 - n_2$ et de vérifier l'attractivité des intersections extrêmes et le caractère répulsif de la solution intermédiaire.
... transition3
la bi-modalité de la distribution des comportements constitute un signature de la transition de phase testable sur un ensemble de données empiriques (Weisbuch etal. 2000)

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weisbuch
2000-05-02